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Pédiatrie

Publié le 19 juin 2024Lecture 7 min

Frein de langue : « to cut or not to cut, that is the question! »

Émilie BOIS*, Marc SZNAJDER**, *Service d’ORL pédiatrique, hôpital Robert Debré, Paris, **Consultation de pédiatrie, hôpital américain de Paris, Neuilly-sur-Seine

Depuis quelques années, on assiste à une véritable « épidémie » de freins de langue court ou restrictif, encore appelés ankyloglossies, censés être responsables de toutes les difficultés liées à l’allaitement maternel, et conduisant immanquablement à une freinotomie (ou frénotomie).

Ce phénomène toucherait de très nombreux pays (États-Unis, Canada, Nouvelle Zélande, Europe, etc.). Certaines publications avancent une prévalence allant jusqu’à 12 % des nouveau-nés(1-5) . Les garçons seraient touchés préférentiellement. Les freins de langue courts seraient en cause dans 10 à 15 % des problèmes d’allaitement(6). Ce surdiagnostic peut entraîner de faux espoirs pour les parents car un allaitement maternel, qu’il faut toujours privilégier, peut s’avérer compliqué techniquement pour le nouveau-né et douloureux pour la mère indépendamment d’un frein de langue court et peut nécessiter quelques jours, voire quelques semaines pour s’installer correctement. À l’opposé, il existe à l’évidence des situations au cours desquelles la section d’un frein de langue trop court permet de faciliter un allaitement maternel qui démarrait mal. De véritables « réseaux de soins » composés de sages-femmes, conseillers en allaitement, pédiatres/ORL, ostéopathes, surfent sur des croyances souvent exagérées, avec des intérêts qui dépassent parfois le seul cadre médical. Cette controverse très ancienne est liée notamment à un manque de recommandations validées par les sociétés savantes, concernant le diagnostic et la prise en charge d’une brièveté du frein de langue, ainsi qu’à la multiplication de communications contradictoires issues de différents groupes de philosophies opposées. Comment s’y retrouver ? Rappels anatomiques et physiopathologiques Le frein de langue est une structure dynamique, appartenant au plan sagittal médian et située dans une couche du fascia du plancher buccal, qui relie la face interne de la mandibule à la face ventrale de la langue. Ce fascia du plancher buccal forme la limite supérieure de l’espace sublingual. Le frein de langue est composé essentiellement de fibres de collagène I et III. Sa partie antérieure est très peu vascularisée et innervée(7). La brièveté excessive du frein de langue peut être anatomique et/ou fonctionnelle (défaut d’élévation et/protrusion), symptomatique ou non. L’imputabilité du frein de langue dans les difficultés d’allaitement, et plus tard dans les problèmes d’élocution, n’est pas toujours aisée à prouver. Il existe plusieurs systèmes de gradation du frein de langue, tout en sachant que ces systèmes sont souvent complexes et chronophages (encadré). En situation physiologique, la langue peut s’élever jusqu’au palais dur, ce qui permet des mouvements de succion efficaces ; elle peut également s’avancer au-delà du vermillon labial. Lors de l’allaitement, la langue exerce une pression et une succion au niveau du mamelon qui permet de drainer le sein, puis projette le lait vers l’arrière. Le concept de frein de langue postérieur est discutable puisque c’est l’attache antérieure qui limite la mobilité de la langue. La langue est en continuité avec sa base en postérieur. Ce concept est apparu récemment chez les partisans de la freinotomie pour expliquer les difficultés d’allaitement malgré l’absence de frein de langue « antérieur » court. Il serait palpable, plutôt que visible. Concernant le frein de lèvre supérieur, qui est une variation anatomique, il n’y a à l’évidence aucune indication à le sectionner immédiatement en période néonatale(9). Le Human Lactation Reasearch Group, basé en Australie, en rappelle d’ailleurs les risques : saignement, infection, diastasis interincisif, cicatrice, etc. Présentation clinique La présentation dépend de l’âge de l’enfant. Chez le nourrisson, La famille consulte pour des difficultés d’allaitement avec perte de l’adhérence au sein ou faible adhérence, irritabilité du nourrisson, mauvaise prise de poids, lésion des aréoles, douleur anormale lors des tétées(10). L’examen clinique recherche une attache trop antérieure du frein de langue et une restriction de mobilité linguale. La pointe de la langue peut prendre une forme de cœur. Dans ces cas uniquement, on pourra imputer ces symptômes, assez généraux lors d’une mise en place de l’allaitement, à un frein de langue trop court. De nombreux nourrissons présentent un frein de langue court sans retentissement sur l’alimentation. D’autres facteurs, comme l’expérience maternelle, des anomalies du mamelon, une faible production lactéale, une dépression du post partum ou un sentiment d’échec, doivent impérativement être pris en compte. L’ankyloglossie, quand elle existe, est le plus souvent une anomalie isolée, sans malformation associée. Il importe cependant de rechercher, devant des difficultés d’allaitement, d’autres anomalies, maxillo-faciales et/ou neurologiques, pouvant s’intégrer dans le cadre d’un syndrome génétique : formes familiales, syndrome de type fente palatine liée à l’X, syndrome de Beckwith-Wiedemann, syndrome oro-digito-facial. Chez le plus grand enfant, elle peut se manifester par des problèmes dentaires, orthodontiques, phonologiques, voire psychologiques. Ces conséquences à long terme restent difficiles à évaluer : certaines études décrivent des troubles de l’articulation mais le niveau de preuves reste faible(11), de même pour les conséquences sur l’occlusion dentaire(12). Traitements Chez le nourrisson, une approche non chirurgicale peut apporter une aide à l’allaitement maternel : consultant(e)s en lactation, utilisation de bouts de sein, changements de position, etc. Chez les enfants plus grands, des prises en charge variées sont proposées pour corriger les différents symptômes décrits : ostéopathie, orthophonie, orthodontie, etc. En cas d’insuffisance des traitements médicaux, une prise en charge chirurgicale peut alors être réalisée, la technique dépendra de l’âge de l’enfant. Chez les nouveau-nés et les jeunes enfants, la freinotomie simple est suffisante. Chez les nourrissons de moins de 6 mois, elle peut être réalisée en consultation. L’aide ouvre la bouche du nourrisson, l’opérateur isole le frein de langue dans une sonde cannelée puis coupe le frein de langue antérieur aux ciseaux. L’enfant repart après 10 min de surveillance montrant l’arrêt du saignement. Elle peut également se faire avec un laser CO2, iode ou YAG. Les techniques au laser n’ont pas montré leur supériorité sur la technique aux ciseaux(13) et peuvent causer des brûlures(14). L'hémostase est ensuite obtenue par compression. Un essai clinique randomisé a montré l’inefficacité des techniques d’anesthésie locale(15), et une administration de sérum glucosé (G30) avant et après la procédure permet de réduire l’inconfort de l’enfant. Chez les plus de 6 mois, on fera cette procédure au bloc opératoire sous anesthésie générale car le maintien de l’enfant est parfois difficile à cet âge et le risque hémorragique est plus important. La technique de section est la même et l’hémostase est faite par suture. Chez les grands enfants et les adolescents, la musculature du plancher s’étant modifiée, il y a un risque de récidive et on fera alors une plastie en Z du plancher buccal (freinoplastie). Complications La procédure de freinotomie est simple et le taux de complications faible(13) : hémorragie, récidive du frein de langue, blessure du canal de Wharton, infection, lésion de nerf lingual, etc. L’hémorragie est néanmoins rapportée jusqu’à 19 % des cas(16), mais cède spontanément dans la quasi-totalité des cas. Du fait de l’anatomie décrite plus haut, elle survient généralement en cas de section trop postérieure. Deux études rapportent néanmoins des cas de choc hémorragique – la volémie du nouveau-né étant très faible, un saignement persistant peut vite avoir des conséquences hémodynamiques(17). Par ailleurs, des troubles de l’hémostase peuvent être diagnostiqués à cette occasion (maladie de Willebrandt).  La récidive est assez fréquente : notée par 14 % des ORL dans l’étude de Messner(18). Les massages buccaux destinés à maintenir l’effet de la section n’ont pas montré d’efficacité sur la diminution des récidives(13) et pourraient même se montrer délétères, avec des douleurs prolongées pour l’enfant et des rétractions plus importantes. Efficacité de la freinotomie Une conférence de consensus menée aux États-Unis par un panel d’ORL pédiatriques(13) note en synthèse : « bien que le groupe ait pu parvenir à un consensus sur le fait que la freinotomie chez les nourrissons atteints d’ankyloglossie peut entraîner une amélioration de l’allaitement, tous n’ont pas besoin d’une freinotomie, et il existe d’autres causes plus courantes de difficultés d’allaitement ». D’autre part, ce même groupe d’experts « a constaté des différences d’opinion marquées sur des sujets controversés, tels que la définition, et même l’existence, de l’ankylo-glossie postérieure ». Le groupe poursuit ainsi : « Une section de frein est également une option chez les enfants plus âgés ayant un trouble articulatoire de la parole et/ou d’autres problèmes mécaniques et sociaux, mais les preuves sont limitées et de qualité relativement médiocre ». Une métaanalyse de Francis(19) insiste également sur le fait que peu d’études apportent une preuve solide de l’amélioration de l’allaitement grâce à la section d’un frein de langue court. Conclusion Face à l’épidémie de freins de langue courts décrite plus haut, il importe de rappeler que ce geste peut engendrer des complications, et que l’indication chez le nourrisson concerne les troubles de l’alimentation associés à un frein de langue restrictif. Rappelons également l’intérêt des mesures d’accompagnement non chirurgicales à l’allaitement maternel. Pour les enfants plus grands, l’indication stomatologique ou phonatoire, du fait de la lourdeur plus grande du geste chirurgical, doit également être soigneusement évaluée.

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