publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Innovation

Publié le 22 avr 2025Lecture 6 min

Entrepôts de données de santé : une dynamique complexe entre enjeux médicaux, organisationnels et économiques

Marc-Olivier GAUCI, chirurgien orthopédiste, CHU de Nice, Inserm

-

Introduction : contexte général et multiplication des entrepôts Depuis quelques années, on constate une prolifération d’entrepôts de données de santé (EDS) dans le paysage hospitalier français. Selon des estimations récentes, on en dénombre plus d’une centaine, qui se répartissent majoritairement dans : les centres hospitaliers universitaires (CHU) ; les établissements privés (cliniques) ; certains groupements hospitaliers (réseaux régionaux ou interrégionaux). Ces EDS centralisent des informations de diverses natures : données cliniques (issues des dossiers patients, de l’imagerie, de la biologie), données médico-administratives (PMSI) ou encore données issues de registres. L’un des objectifs premiers est de permettre la réutilisation (ou le « second usage ») des informations collectées dans le cadre du soin pour la recherche, le suivi à long terme et l’innovation (évaluation de dispositifs médicaux, études épidémiologiques, etc.). Or, cette expansion rapide s’accompagne d’une hétérogénéité notable : chaque entité (CHU, clinique, réseau) a pu développer son propre modèle d’EDS, avec des règles de gouvernance variables, des systèmes informatiques différents, et des capacités inégales à nettoyer et structurer les données.   Organisation en réseau : l’exemple du Grand Ouest Marc Cuggia (professeur d’informatique médicale, université de Rennes) illustre un modèle de coopération à l’échelle régionale, au sein du groupement « Hugo » (Grand Ouest), qui fédère plusieurs établissements : mise en place d’une plateforme technologique commune, utilisée par différents hôpitaux pour bâtir leurs propres EDS ; création de centres de données cliniques dédiés, animés par des équipes mixtes (cliniciens, data scientists, ingénieurs en informatique médicale) ; capacité à mutualiser des données à travers plusieurs sites, pour constituer un projet multicentrique lorsque nécessaire. Cette approche collaborative renforce la pertinence des résultats (volume de patients plus grand, diversité de cas) et permet un échange de bonnes pratiques sur la collecte et la qualité des données.   Le health data hub : un acteur national pour structurer et promouvoir l’accès Créé pour répondre à l’ambition de la France dans le domaine de la donnée de santé, le health data hub (HDH) se veut à la fois : une plateforme technologique centralisée, afin d’héberger et de traiter de grands volumes de données (incluant le SNDS et certaines bases hospitalières) ; un coordinateur ou « fédérateur » visant à unifier les initiatives locales (CHU, registres, acteurs privés, etc.) autour d’un cadre commun. Roman-Hossein Khonsari (chirurgien maxillo-facial, Necker [AP-HP]), directeur médical du HDH, souligne la nécessité de trouver un équilibre entre : l’ancrage local des données (les EDS au plus près de la source, dans les établissements) ; la capacité à mener des études nationales (voire européennes), exigeant un partage et une interopérabilité au-delà des frontières institutionnelles. Le HDH ne vise pas à centraliser toutes les données de chaque EDS – cela serait à la fois inutile et techniquement lourd – mais il promeut une démarche hybride : cataloguer les métadonnées ; encourager la mise en qualité selon des standards communs ; faciliter des projets multicentriques grâce à des règles de gouvernance et des outils adaptés (par exemple : l’accès sécurisé et la pseudonymisation).   Les registres professionnels : un pilier de qualité et d’expertise Olivier Goeau-Brissonnière (président de la Fédération des spécialités médicales [FSM]) rappelle l’importance des registres thématiques (par spécialité ou pathologie), portés par les sociétés savantes et les Conseils nationaux professionnels (CNP). Historiquement, ces registres sont alimentés par les praticiens eux-mêmes, conférant un haut niveau de fiabilité des données saisies (même si parfois la charge de travail est lourde). Ils sont structurés autour de référentiels métier (protocoles de suivi, définitions standardisées des variables), et incluent des mécanismes de validation ou d’audit. De nombreux projets de recherche (PHRC, études post-inscription de dispositifs, etc.) utilisent ces registres comme base de données principale. Néanmoins, plusieurs participants ont souligné la difficulté de maintenir sur la durée l’implication des chirurgiens et médecins, compte tenu du temps chronophage à remplir les données et du financement souvent incertain. Sans une organisation (secrétariat dédié, rémunération de la saisie) et un soutien financier pérenne (public ou privé), les registres risquent de perdre en exhaustivité ou en précision.   Les besoins de l’industrie : standardisation et accès rapide Jérôme de Launay (directeur des affaires médicales et formation pro, J&J Medtech France) exprime le point de vue industriel : pour évaluer l’efficacité d’un implant, d’un dispositif ou d’une nouvelle technique, les fabricants ont besoin d’études multicentriques et de grande envergure ; la fragmentation des EDS (multiplicité de systèmes, qualité inégale des données, gouvernances hétérogènes) ralentit la mise en place de ces études ; Il appelle à une labellisation ou une certification claire des EDS, pour garantir la fiabilité des données et rassurer les partenaires sur la robustesse des analyses. Le financement par les industriels peut contribuer à la pérennité des EDS, pourvu que l’équilibre soit trouvé entre la valorisation des données, la protection des patients (RGPD) et les retombées pour l’établissement ou la spécialité médicale concernée.   Les enjeux transverses : qualité, interopérabilité, modèle économique Qualité et validation des données Des algorithmes d’extraction (NLP, détection automatique dans les comptes rendus) ou des saisies standardisées (formes de CR opératoires) sont nécessaires pour fiabiliser les variables. Des audits et une acculturation des soignants restent indispensables.   Interopérabilité Le défi est d’aller vers des formats communs, permettant d’agréger facilement les variables cliniques essentielles. Les entités (HDH, consortiums de CHU, groupements de cliniques) travaillent à des référentiels partagés et des plateformes de partage.   Modèle économique et gouvernance Tous reconnaissent la valeur du travail d’ingénierie sur la donnée (nettoyage, matching, extraction). La réutilisation de données doit rétribuer à la fois ceux qui les collectent (les médecins, les équipes hospitalières) et ceux qui les consolident (ingénieurs, plateformes). Les discussions portent sur la part de « retour financier » pour les acteurs publics, la place des industriels, et la façon de fixer un « prix » (ou au moins une compensation) pour accéder à des données de qualité.   Conclusion : vers une structuration collective et pérenne Cette table ronde met en évidence un consensus : les EDS constituent une ressource stratégique pour innover et améliorer la prise en charge des patients ; la coordination nationale est cruciale pour réduire la fragmentation (catalogue d’entrepôts, référentiels, labellisation) ; les registres de spécialités demeurent un socle précieux car ils s’appuient sur l’expertise et l’implication directe des professionnels, même si leur pérennité financière et leur interopérabilité avec d’autres bases doivent encore être solidifiées ; l’équilibre entre valorisation économique, partage ouvert, qualité et protection des données personnelles reste délicat. Des avancées réglementaires et des accords institutionnels (au niveau national et bientôt européen) pourraient fluidifier le modèle, à condition de tenir compte des spécificités de chaque acteur (hospitalier, industriel, professionnel de santé). En somme, la maturité croissante des entrepôts de données de santé s’accompagne d’un virage culturel et organisationnel : professionnaliser la gestion des données, de la production (saisie initiale) à l’analyse (algorithmes validés) ; établir des mécanismes de financement durables pour récompenser l’apport de chaque contributeur ; faciliter l’émergence de projets collaboratifs, tant académiques qu’industriels, autour de ces bases. L’objectif final reste de promouvoir l’excellence clinique et la recherche tout en sécurisant et respectant les droits des patients.   D'après la table ronde du Congrès « Chirurgie 4.0 » de l’Académie nationale de chirurgie  

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème

Vidéo sur le même thème