Publié le 19 juin 2024Lecture 9 min
Reconnaissance de compétence en chirurgie cancérologique gynécologique - Point d’étape et perspectives
Chérif AKLADIOS, service de cancérologie gynécologique, CHRU de Strasbourg
L’onco-gynécologie n’est pas reconnue en France comme étant une sous-spécialité. Nous ne disposons pas non plus d’un cursus bien défini, d’un diplôme ou d’un cahier des charges à remplir qui attestent de la compétence des praticiens dans la prise en charge chirurgicale des cancers gynécologiques. Ce vide réglementaire est pénalisant pour les patientes pour lesquelles il est difficile d’identifier, en se basant sur des arguments objectifs, les spécialistes formés à la prise en charge des cancers gynécologiques.
La raréfaction des cancers du col utérin, l’élargissement des objectifs chirurgicaux vers la chirurgie complète des cancers ovariens avancés et la rareté des cancers vulvaires justifient pleinement l’orientation des patientes vers des chirurgiens pouvant faire état d’une formation et d’une expérience spécifiques. Les chirurgiens compétents qui prennent en charge ces cancers réalisent des gestes chirurgicaux qui dépassent la sphère génitale s’exposant ainsi, en cas de complications, à des difficultés juridiques et assurantielles potentielles. Cette chirurgie doit donc s’intégrer dans une logique de prise en charge multidisciplinaire nécessitant des connaissances suffisantes et une concertation régulière, notamment avec les oncologues médicaux, les radiothérapeutes, les anatomo-pathologistes, les radiologues et les médecins nucléaires.
L’entreprise de reconnaissance de compétence en chirurgie gynécologique cancérologique, initiée par la Société française d’oncologie gynécologique (SFOG) et le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) rejoints par la Société de chirurgie gynécologique et pelvienne (SCGP) et la Société française de chirurgie oncologique (SFCO), a également le soutien du Conseil national des universités (CNU) de gynécologie-obstétrique et d’Unicancer.
Deux objectifs sont poursuivis :
– l’amélioration de la prise en charge des patientes atteintes de cancers gynécologiques par des spécialistes dont l’expertise sera identifiée sur des critères objectifs. Cette démarche compense les insuffisances des critères d’autorisation gouvernementaux qui portent plutôt sur des établissements de santé ;
– la reconnaissance par des pairs d’une compétence chirurgicale à faire valoir en cas de contestation.
Un comité de reconnaissance de compétences
Un comité national de reconnaissance de compétences a été constitué en respectant une parité entre les sociétés savantes et les institutions qui représentent l’ensemble des chirurgiens et prennent en charge les cancers gynécologiques en France, afin de définir les prérequis nécessaires.
Ce comité a défini des critères objectifs, qualitatifs et quantitatifs, à remplir pour accéder à une reconnaissance professionnelle (annexes I et II) et conseillé une structuration d’un parcours de formation (annexe II). Globalement, la cible est de se conformer, avec des adaptations nationales, aux critères établis au niveau européen par la European Society of Gynecological Oncology (ESGO), tant pour le programme de formation par le fellowship et l’examen européen que pour l’organisation de la formation. En ce qui concerne l’évaluation des besoins, et à titre indicatif, l’analyse fine du PMSI 2018 a permis de comptabiliser 11 800 chirurgies d’exérèse, en excluant les chirurgies mineures ou diagnostiques. Il a été établi que 2 chirurgiens par million d’habitants, soit environ 130 en France, seraient, sur une base de 2 interventions par semaine, suffisants pour couvrir les besoins.
Dans un rapport récent, la FIGO a recensé l’ensemble des techniques chirurgicales utilisées dans la prise en charge des cancers gynécologiques. Les auteurs ont classé ces interventions en trois catégories selon la nécessité de leur maîtrise par un chirurgien onco-gynécologue :
– les compétences obligatoires : définies comme étant les normes actuelles des soins qu’un onco-gynécologue devrait être en mesure d’effectuer régulièrement, d’une manière autonome, dans sa pratique ;
– les compétences souhaitées : ce sont les interventions qu’un onco-gynécologue doit être capable de réaliser sans assistance d’un autre spécialiste s’il exerce dans un centre à haut volume d’activité en cancérologie gynécologique ou avec l’assistance d’un autre spécialiste. Il s’agit de procédures qui impliquent des spécialités chirurgicales telles que l’urologie, la chirurgie digestive, la chirurgie plastique, la chirurgie vasculaire… ;
– les compétences facultatives : ce sont celles qui ne font pas partie des recommandations pour la pratique courante. Il s’agit surtout de techniques chirurgicales innovantes susceptibles de devenir des standards de prise en charge.
Le comité a décidé de limiter cette classification à deux catégories : obligatoires et facultatives (tableaux). De plus, dans son curriculum de 2021, l’ESGO a défini pour certaines interventions un nombre à réaliser d’une manière autonome par le candidat ou que le candidat devrait être capable d’enseigner à d’autres collègues. Cette maîtrise devrait être attestée par le tuteur du candidat au sein du centre où il exerce.
Pour chacune des interventions, la grille d’évaluation comprend le nombre de procédures réalisées par le candidat en tant qu’opérateur principal et en tant qu’aide ainsi que l’évaluation de son niveau de compétence par son encadrant.
Organisation d’un parcours de formation
Il est conseillé d’organiser des filières remplissant les critères du fellowship de l’ESGO, autour d’un scénario idéal de centres accrédités. Les critères sont indicatifs, et la finalité est l’encadrement d’un candidat en condition de remplir les critères définis dans l’annexe I.
Les centres souhaitant adhérer à cette démarche de reconnaissance de compétence sont invités à signer une charte, marquant leur engagement dans la formation de la chirurgie cancérologique gynécologique. Au décours, la liste des centres signataires de cette charte sera accessible librement sur le site du CNCCG.
À ce jour, 2 ans après le lancement de cette démarche de qualité multisociétale, 24 chirurgiens oncologues ont obtenu leur reconnaissance de compétences en chirurgie cancérologique gynécologique et 19 établissements de santé ont signé la charte d’adhésion. Le nombre de candidatures est en expansion. À terme, l’objectif sera d’obtenir la reconnaissance de cette démarche dédiée à la chirurgie oncologique gynécologique par les instances nationales et européennes
Annexe I. Cahier des charges.
Un candidat à la reconnaissance de compétence, sauf cas particulier détaillé ci-dessous, doit passer avec succès le contrôle de connaissances de l’ESGO. Il doit, en outre, remplir un cahier des charges dont les grandes lignes correspondent à l’esprit du curriculum de l’ESGO et des formations spécialisées transversales (tableau 1). Chaque élément rempli par le candidat sera quantifié par un score. Le cahier des charges défini par le comité est objectivé par un système de points. Pour être éligible à la reconnaissance de compétence par le comité, un candidat doit obtenir au minimum 100/120 points.
• Formations théoriques (10 points maximum)
La participation du candidat à des formations théoriques du type DU, EPU, conférences thématiques en cancérologie, les modules de la eAcademy de l’ESGO… donnent lieu à un score. Une note sera attribuée à chacune de ces formations, en fonction de son contenu et de sa durée.
• Formations pratiques (10 points maximum)
La participation du candidat à des formations pratiques dédiées à la cancérologie du type workshop, séances de simulation, cours avec travaux dirigés sur animaux ou sur cadavre. Une note sera attribuée à chacune de ces formations, en fonction de son contenu et de sa durée. Il est important de souligner que la détention d’un DESC de cancérologie valide la totalité du volet «formation».
• Activités d’enseignement (5 points maximum)
L’encadrement des internes, des externes et des assistants; l’animation de workshops ; la participation en tant qu’orateur à des congrès nationaux ou internationaux seront pris en compte dans la quantification de ce volet.
• Activités de recherche (15 points maximum)
La réalisation d’un master I, d’un master II ou d’une thèse de sciences en cancérologie sera quantifiée par un score croissant, de même que les publications dans des revues nationales et internationales indexées.
• Inscription dans une dynamique de formation continue (10 points maximum)
Le candidat doit fournir la preuve d’un engagement en tant que membre d’une société savante ou d’un groupe de travail en cancérologie ainsi que de sa participation à des congrès nationaux et internationaux dédiés à la cancérologie pelvienne.
• Stages effectués dans le cadre d’un cursus de formation (30 points maximum)
Sont concernés les stages effectués en tant qu’interne, docteur junior, assistant, CCU-AH ou praticien dans un service agréé pour la formation des DES et pour la prise en charge des cancers gynécologiques ainsi que les stages en chirurgie viscérale, urologie, etc.
Le cursus de formation pourrait être réalisé en 5 ans(au minimum) :
– 4 semestres d’internat dont 2 semestres dans un service agréé pour la formation des DES et pour la prise en charge des cancers gynécologiques;
– 2 semestres dans des services de chirurgie, dont au minimum 1 dans un service de chirurgie viscérale;
– 1 an en tant que docteur junior dans un service agréé pour la formation des DES et pour la prise en charge des cancers gynécologiques ou dans un service de chirurgie ;
– au minimum 2 ans en tant que chef de clinique ou assistant dans un service agréé pour la formation des DES et pour la prise en charge des cancers gynécologiques.
• Logbook (40 points maximum)
Le but du logbook est de fixer des objectifs quantitatifs relatifs aux types d’interventions à connaître ou à maîtriser par un candidat à la reconnaissance de compétences dans la perspective d’une prise en charge autonome ou en collaboration avec d’autres spécialistes. Il existe peu de données dans la littérature concernant le nombre d’interventions à réaliser en tant qu’aide ou en tant que chirurgien principal pour acquérir la maîtrise d’une technique chirurgicale. À ce propos, l’objectif de définir un logbook dans le cadre de la reconnaissance de compétences n’a pas pour but de vérifier la maîtrise totale d’un geste chirurgical en particulier mais de jauger le niveau de familiarisation d’un candidat sur l’ensemble des compétences nécessaires pour une prise en charge chirurgicale optimale des cancers gynécologiques. En se basant sur ces données et en les adaptant à nos pratiques, les membres du comité, avec l’aide des chirurgiens du groupe SFOG Campus, ont défini le contenu du logbook à valider en vue de la reconnaissance de compétences.
Bien que le comité n’ait pas retenu de seuils relatifs au nombre d’interventions à réaliser par un candidat comme chirurgien principal ou comme aide, il prendra en considération les prérequis de l’ESGO comme étant des repères importants, sans être discriminatoires, pour la reconnaissance de compétences. Selon le curriculum de l’ESGO, pour que la compétence d’un candidat soit reconnue, il devrait avoir réalisé en tant que chirurgien principal :
– 10 hystérectomies ou paramétrectomies élargies ;
– 30 lymphadénectomies pelviennes (y compris la détection de GS) ;
– 5 exérèses tumorales vulvaires larges ;
– 5 lymphadénectomies inguino-fémorales ;
– au minimum 20 chirurgies de cytoréduction dans le cadre d’une prise en charge de cancer de l’ovaire de stade avancé, comportant des péritonectomies étendues, une résection digestive, des procédures chirurgicales concernant l’étage sus-mésocolique ou l’exérèse d’adénopathies métastatiques.
Annexe II. structure du parcours de formation.
• Cette démarche est destinée essentiellement aux chirurgiens en formation et à ceux qui terminent leur parcours, qui peuvent faire reconnaître leur compétence en chirurgie cancérologique gynécologique en validant, a posteriori, leur cursus de formation et leur logbook.
• Pour les chirurgiens qui ont une pratique régulière de la chirurgie cancérologique gynécologique et qui souhaitent avoir une reconnaissance de leur compétence dans ce domaine, les demandes seront étudiées au cas par cas à condition d’avoir rempli le logbook et le cahier des charges défini par le CNCCG.
• Critères d’éligibilité à la reconnaissance de compétence en chirurgie cancérologique gynécologique pour les chirurgiens en exercice. L’objectif dans ce cas serait de reconnaître et d’attester de la compétence des chirurgiens ayant acquis une expérience suffisante et non discutable en oncologie gynécologique.
• Pour être éligible, un candidat devrait :
– être titulaire d’un DES de gynécologie-obstétrique (avec des dérogations pour des chirurgiens viscéraux ou urologues pouvant faire état d’une formation en gynécologie) ;
– avoir passé 2 ans au minimum en tant que médecin senior dans un établissement autorisé pour la pratique de la chirurgie des cancers gynécologiques ;
– avoir passé avec succès une épreuve de connaissance européenne : l’ESGO (uniquement pour les candidats ayant moins de 5 ans d’exercice à partir de la fin de leur formation initiale) ;
– avoir rempli le cahier des charges incluant le logbook et avoir accumulé 100 points au minimum.
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